“Nettoyer le monde, des milliards de femmes s’en chargent chaque jour, inlassablement. Sans leur travail, des millions d’employés et agents du capital, de l’État, de l’armée, des institutions culturelles, artistiques, scientifiques, ne pourraient pas occuper leurs bureaux, manger dans leurs cantines, tenir leurs réunions, prendre leurs décisions dans des espaces propres où corbeilles à papier, tables, chaises, fauteuils, sols, toilettes, restaurants ont été nettoyés et mis à leur disposition. Ce travail indispensable au fonctionnement de toute société doit rester invisible.”
Avec ces mots, Françoise Vergès, plante le décor de son essai Un Féminisme Décolonial publié en 2019 par La Fabrique. Le livre survole l’histoire des mouvements féministes en France du point de vue de la place des femmes racisées. Alors que racisme et sexisme sont souvent traités à part dans le débat public, Vergès dresse une critique de ce qu’elle appelle le “féminisme civilisationnel”, apportant son regard éclairant sur les relations intriquées entre racisme et sexisme dans notre société néo-libérale. L’auteure porte un regard disruptif sur l’instrumentalisation des luttes féministes par le capital et la mission civilisatrice européenne : égalité salariale alors que certains sous-emplois restent réservés aux femmes racisées, diktat du bikini comme justification à des dérives islamophobes, etc.
Un féminisme décolonial, selon Vergès, serait “un féminisme qui fait une analyse multidimensionnelle de l’oppression et refuse de découper race, sexualité et classe en catégories qui s’excluraient mutuellement.” Bref, une lecture obligatoire pour celles et ceux qui cherchent à se questionner sur leurs privilèges et à aller plus loin pour comprendre les liens entre les structures de domination.